Malcolm X : Funérailles d’un Martyr

Retour sur les funérailles du martyr Malcolm & hommage au Black Shining Prince.

Le 21 février 1965, Malcolm X quittait ce monde, atteint de 21 balles devant plus de 400 personnes, en plein discours à l’Audubon Ballroom d’Harlem. Le 27 février, le ‘Hajj’ Malik Al Shabazz était inhumé au Ferncliff Cemetery, à New York.

De la mort aux funérailles de Malcolm

Harlem, New York, dimanche 21 février 1965. Malcolm X arrive sur l’estrade d’un Audubon Ballroom, jadis un petit théâtre régulièrement utilisé pour les discours de Malcolm. La salle, comme à chacun de ses discours, est pleine. Quelques secondes après la traditionnelle formule de salutation « As salam alaikom » à laquelle les auditeurs retournent « Wa alaikom salam », 3 membres de la Nation of Islam se lèvent et font feu : criblé de 21 balles devant sa femme et ses filles présentes pour l’occasion, Malcolm X rend l’âme à l’âge de 39 ans.

Le film Ali, sorti en 2001, revient sur ce tragique évènement ayant à jamais marqué l’Histoire.

Présentation au public

2 jours plus tard, suite à l’examen du corps et aux conclusions du médecin légiste, la dépouille du plus grand leader de la cause noire aux Etats-Unis est présentée au public durant 3 jours. Du 23 au 26 février, entre 14 000 et 30 000 personnes viennent lui rendre une dernière visite, à l’Unity Funeral Home d’Harlem.

Un nombre relativement élevé compte tenu du contexte extrêmement tendu du moment, Malcolm étant présenté dans l’ensemble de la presse américaine comme un personnage raciste et extrémiste. L’on craint dans le même temps qu’une guerre n’éclate et que de nouvelles attaques ne surviennent entre les membres de la Nation of Islam et les adeptes du leader afro-américain.

Malcolm X à l'Unity Funeral Home d'Harlem. Photo Steve Shapiro/Corbis - HD Malcolm X France

Lavage mortuaire

Le lavage mortuaire de Malcolm X , qui est inhumé selon les rites de l’Islam, est effectué par le Sheikh Ahmad Hassoun, un enseignant en sciences islamiques soudanais qui accompagnera Malcolm à son retour du pèlerinage à La Mecque.

Enseignant à Malcolm les préceptes orthodoxes de l’Islam, le Sheikh Ahmad Hassoun est également membre et enseignant de la Muslim Mosque Inc, un petit groupe fondé par Malcolm X après son départ de la « Nation of Islam » en mars 1964 et dédié à l’enseignement de l’Islam orthodoxe.

Présent aux côtés de Malcolm quelques minutes avant son meurtre, le Sheikh Ahmad Hassoun est celui qui effectuera le lavage mortuaire du ‘Hajj’ Malik al Shabazz.

Le savant soudanais ne sera toutefois pas présent lors de l’enterrement, le 27 février, par crainte pour sa vie.

Funérailles

Les funérailles de Malcolm X se déroulent dans l’église Faith Temple of Christ Church of God, seul lieu disponible à une époque où l’Islam est très minoritaire aux Etats-Unis et où le nombre de mosquées y est par conséquent très faible, les quelques mosquées existantes s’apparentant par ailleurs plus à de petites salles de prière, jugées trop petites.

De nombreuses personnalités sont présentes pour un dernier adieu à l’icône de la cause noire, dont des leaders pour les droits civiques tels que John Lewis, Bayard Rustin, James Forman, James Farmer, Jesse Gray ou encore Andrew Young.

De nombreux éloges sont prononcés à tour de rôle, avant que ne soit réalisée par son ami Ahmad Osman la traditionnelle ‘Salat Janaza’, la prière mortuaire effectuée par les musulmans en faveur du défunt avant sa mise en terre.

Malcolm X à l'Unity Funeral Home d'Harlem, 26 Février 1965. New York Daily News

Réactions

Suite à l’assassinat de Malcolm X, de nombreuses célébrités et leaders rendent hommage à l’icône et ardent défenseur de la cause afro-américaine.

Ainsi de Martin Luther King, l’autre grande icône de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis dont Malcolm aura toujours critiqué la solution de « résistance non violente », qui envoie le télégramme suivant à la femme de Malcolm, Betty Shabazz :

Bien que nous n'ayons pas toujours été d'accord sur les méthodes pour résoudre le problème racial, j'ai toujours eu une profonde affection pour Malcolm et j'ai senti qu'il avait une grande capacité à mettre le doigt sur l'existence et la racine du problème.

Il était un porte-parole éloquent pour ses idées et personne ne peut honnêtement douter que Malcolm avait une réelle préoccupation pour les problèmes auxquels notre race fait face.

Dans les colonnes du New York Amsterdam News, King ajoute : « Comme le meurtre de Lumumba, le meurtre de Malcolm X prive le monde d’un potentiel grand leader.« 

MLK & Malcolm X, lors de leur unique rencontre, dans les locaux de l'US Capitol, Washington DC, 26 Mars 1964. Bettman - Colorisation Malcolm X France

En dehors des États-Unis, en particulier en Afrique, la presse ne tarit pas d’éloges. Le Daily Times of Nigeria écrit que Malcolm X « aura une place dans le palais des martyrs« . Au Ghana, Le Ghanaian Times le compare à John Brown, Medgar Evers et Patrice Lumumba, et l’a compté parmi « une foule d’Africains et d’Américains qui ont été martyrisés pour la cause de la liberté. »

En Chine, le Quotidien du Peuple décrit le Hajj Malik al Shabazz comme un martyr tué par « les cercles du pouvoir et les racistes » aux États-Unis ; son assassinat, écrit le journal, démontre que « dans la lutte face aux oppresseurs impérialistes, la violence doit être combattue par la violence ». Le Guangming Daily, également publié à Pékin, déclare pour sa part que « Malcolm a été assassiné parce qu’il s’est battu pour la liberté et l’équité ». À Cuba, El Mundo décrit l’assassinat comme « un autre crime raciste visant à éradiquer par la violence la lutte contre la discrimination. ».

Le plus vibrant hommage est toutefois l’œuvre d’Ossie Davis, acteur et activiste afro-américain.

Hommage au Black Shining Prince

Ici, en cette dernière heure, dans ce lieu tranquille, Harlem est venu faire ses adieux à l’un de ses espoirs les plus brillants, maintenant éteint et nous ayant quittés pour toujours. Car Harlem est l’endroit où il a travaillé et où il a lutté et s’est battu – la maison de ses maisons, où était son cœur et où se trouve son peuple – et il est donc tout à fait approprié que nous nous rencontrions à nouveau à Harlem pour partager ces derniers instants avec lui.

Car Harlem a toujours été gracieuse envers ceux qui l’ont aimée, se sont battus pour elle et ont défendu son honneur jusqu’à la mort. Personne ne se souvient de la dernière fois que cette communauté -assiégée, malheureuse, mais néanmoins fière- a trouvé un jeune champion plus courageux, plus vaillant que cet Afro-Américain qui se dresse devant nous, toujours invaincu.

Je répète le mot, comme il aurait voulu que je le fasse : Afro-Américain… L’afro-américain Malcolm, qui était un perfectionniste, était le plus méticuleux dans son utilisation des mots. Personne ne savait mieux que lui le pouvoir des mots sur l’esprit des hommes.

Malcolm avait cessé d’être un nègre il y a des années déjà. C’était devenu un mot trop petit, trop chétif, trop faible pour lui. Malcolm était plus grand que ça. Malcolm était devenu un Afro-Américain, et il voulait – si désespérément – que nous, que tout son peuple, devenions aussi des Afro-Américains.

Il y a ceux qui considéreront qu’il est de leur devoir, en tant qu’amis du peuple nègre, de nous dire de l’insulter, de fuir la présence même de sa mémoire, de nous sauver en l’effaçant de l’histoire de notre époque turbulente.

Beaucoup se demanderont ce que Harlem trouve à honorer dans ce jeune capitaine tempétueux, controversé et audacieux – et nous sourirons. Beaucoup diront : « détourne-toi de cet homme, car ce n’est pas un homme mais un démon, un monstre, un perturbateur et un ennemi de l’homme noir » et nous sourirons. Ils diront qu’il est animé par la haine – un fanatique, un raciste – qui ne peut que causer du tort à la cause pour laquelle vous luttez ! Et nous leur répondrons et leur dirons :

Avez-vous déjà parlé au frère Malcolm ? L’avez-vous déjà touché ou l’avez-vous vu vous faire un sourire ? L’avez-vous jamais vraiment écouté ? A-t-il déjà fait quelque chose de méchant ? A-t-il jamais été lui-même associé à la violence ou à des troubles publics ? Car si vous l’aviez fait, vous l’auriez connu. Et si vous le connaissiez, vous sauriez pourquoi nous devons l’honorer : Malcolm était notre virilité, notre virilité noire vivante !

C’était son objectif pour son peuple. Et, en l’honorant, nous honorons le meilleur en nous-mêmes. L’année dernière, d’Afrique, il écrivit ces mots à un ami : « Mon voyage est presque terminé, et j’ai une portée beaucoup plus large que lorsque j’ai commencé, ce qui, je crois, ajoutera une nouvelle vie et dimension à notre lutte pour la liberté, l’honneur et la dignité aux États-Unis.

J’écris ces choses pour que vous sachiez avec certitude l’énorme sympathie et le soutien que nous avons parmi les États africains pour notre lutte pour les droits de l’homme. L’essentiel est que nous gardions un front uni dans lequel notre temps et notre énergie les plus précieux ne seront pas gaspillés à nous battre les uns les autres. »

Quoique nous ayons pu être en désaccord avec lui – ou entre nous à propos de lui et de sa valeur en tant qu’homme – faisons en sorte que son départ ne nous serve plus qu’à nous rapprocher, maintenant.

Consignant ces restes mortels à la terre, la mère commune de tous, soyons assurés que ce que nous plaçons dans le sol n’est maintenant plus un homme – mais une graine – qui, après l’hiver de notre chagrin, reviendra de plus belle à notre rencontre.

Et nous le connaîtrons alors pour ce qu’il était et est – un Prince – notre propre Resplendissant Prince Noir ! – qui n’a pas hésité à mourir, parce qu’il nous aimait tant.

Malcolm X, mars 1964. Truman Moore via Getty