Retour sur la mort de Malcolm X, tombé en martyr sous les balles de ses anciens frères de la « Nation of Islam ».
Harlem, New York, dimanche 21 février 1965. Malcolm X arrive sur l’estrade de l’Audubon Ballroom -jadis un petit théâtre régulièrement utilisé pour les discours de Malcolm- qui fait, comme à chacun de ses discours, salle comble.
Quelques secondes après la traditionnelle formule de salutation « As salam alaikom » à laquelle les auditeurs retournent le traditionnel « Wa alaikom salam », 3 membres de la Nation of Islam se lèvent et font feu : criblé de 21 balles devant sa femme et ses filles présentes pour l’occasion, Malcolm X rend l’âme à l’âge de 39 ans.
Retour sur le martyre du ‘Hajj’ Malik al Shabazz.
TENSIONS AVEC LA NATION
Le 8 mars 1964, Malcolm X annonce son départ de la Nation of Islam, après des mois de désaccords et de tensions avec son leader et Messager autoproclamé, Elijah Muhammad.
Des divergences de différentes natures, notamment liées à l’absence d’actions concrètes et de représailles envers la police suite aux diverses violences policières à l’encontre des populations afro-américaines, notamment lors du meurtre en 1962 d’un membre de la Nation, Ronald Stokes, par la police de Los Angeles.
Malcolm milite par ailleurs pour organiser des représailles envers le Ku Klux Klan et toute autre organisation suprémaciste blanche, dans une logique d’autodéfense et de loi du talion, mais n’obtiendra jamais l’accord d’Elijah Muhammad.
De plus, différents différends politiques amènent progressivement Malcolm à s’éloigner de la NOI, tels que le refus d’Elijah Muhammad de participer au Mouvement pour les droits civiques, alors en plein essor au début des années 1960, et ce alors que Malcolm X estime pour sa part que les Black Muslims ne devraient pas rester en retrait et devraient plutôt profiter de l’occasion pour porter leurs revendications et améliorer la condition des afro-américains.
C’est toutefois une autre opinion politique qui va acter le divorce, suite à l’assassinat du président américain John Fitzgerald Kennedy le 23 novembre 1963. Interrogé quelques jours après sur l’assassinat de JFK, Malcolm lâche un lapidaire « It’s a case of chickens coming home to roost » traductible en français par « Qui sème le vent récolte la tempête ».
Qui sème le vent récolte la tempête.
Malcolm X, sur l'assassinat de JFK
Par cette formule, le Black Shining Prince explique que l’assassinat de Kennedy n’est que le résultat d’un climat de haine et de violence entretenu depuis trop d’années par l’administration américaine elle-même, tant à l’intérieur des Etats-Unis -notamment envers la population noire- qu’à l’extérieur avec ses différentes campagnes militaires telles que la guerre du Vietnam ou sa participation dans les meurtres de différentes figures noires telles que Patrice Lumumba ou Edgar Mevers.
Il n’en faut pas plus pour que les médias américains reprennent en chœur les propos chocs de Malcolm : la formule choque et ne passe guère inaperçue aux Etats-Unis, et détonne jusque dans les rangs de la Nation of Islam.
Elijah Muhammad, chef suprême des Black Muslims, a en effet strictement interdit à ses disciples de commenter publiquement l’assassinat de Kennedy et a même présenté ses condoléances à la famille du président américain. En guise de sanction, Malcolm X est interdit de s’exprimer publiquement pendant 90 jours, de décembre 1963 à février 1964.
Il s’agira en réalité d’un prétexte pour réduire Malcolm X au silence, les tensions en interne avec Elijah Muhammad étant devenues trop fortes : outre les différends de nature politique, le leader de la Nation of Islam ne cesse de développer tout au long de l’année 1963 une forte jalousie à l’égard de son porte-parole, une jalousie due à la popularité médiatique croissante de ce dernier au fil des années 60.
Ainsi, en 1963, lorsque le journaliste Afro-américain Louis Lomax publie un livre sur la Nation Of Islam intitulé When the word is given, c’est Malcolm X qui figure sur la couverture et non Elijah. Le livre de Lomax retranscrit par ailleurs 5 discours de Malcolm, pour un seul discours d’Elijah Muhammad, pourtant leader de la Nation depuis 1934 et Messager autoproclamé d’Allah.
Le dirigeant de la NOI souffre par ailleurs la comparaison avec son disciple le plus brillant, ce qui ne le rend que plus envieux et irrité. Malcolm X est en effet doté de qualités humaines qu’Elijah Muhammad ne possède guère : Malcolm est d’une éloquence rare, d’une grande intelligence, d’une grande capacité de raisonnement et d’une grande faculté de discernement, ainsi que d’une grande répartie et d’un non moins grand charisme ; myriades de qualités absentes chez son mentor.
C’est toutefois une autre vertu qui va amener Malcolm à ouvrir les yeux sur la vraie nature du leader suprême de la NOI et à remettre en question ses convictions les plus profondes, signant par-là même son arrêt de mort.
Malcolm X signe son arrêt de mort
Des rumeurs courent au sein de la Nation : Elijah Muhammad aurait eu des relation extra-conjugales avec plusieurs de ses secrétaires, acte qui constituerait une grave violation des règles de la Nation, qui sanctionne ses membres coupables d’adultère par une humiliation auprès de la communauté ainsi qu’une mise à l’isolement allant de 1 à 5 ans.
Plus grave, le chef suprême des Black Muslims aurait eu plusieurs enfants nés de ces relations illégitimes. Pire encore, afin de cacher ses méfaits, le dirigeant de la Nation of Islam aurait fait condamner ses maîtresses pour adultère, de sorte à s’assurer leur isolement et leur silence, ces dernières n’osant guère dénoncer publiquement leur chef spirituel.
Malcolm X refuse dans un premier temps d’y croire, mais en aura la confirmation par l’un des propres fils d’Elijah Muhammad, en la personne de Wallace Deen Muhammad, avec qui Malcolm a noué au fil du temps une relation privilégiée. Wallace -qui quittera comme Malcolm la Nation pour l’Islam orthodoxe- organisera même une rencontre entre Malcolm X et quelques unes des secrétaires mises enceinte par son père Elijah.
Mis devant le fait accompli, Malcolm X demande des explications à son mentor et Messager autoproclamé de Dieu, lequel tente de se justifier en mentionnant la polygamie de certains prophètes et messagers, dont il ferait partie. D’une immense loyauté, l’icône de la cause afro-américaine se contente de cette pirouette pendant quelques semaines, avant que de nouvelles affaires extra-conjugales ne surviennent en octobre 1963.
Malcolm X, poussé par son sens de l’honneur et son désir de vérité, ne peut dès lors que se rendre à l’évidence sur l’homme qu’il considère comme un Saint depuis près de 15 ans.
Les relations ne cessent de se dégrader en interne et atteignent le point de non-retour : Malcolm X est désormais considéré comme une grande menace par Elijah Muhammad et son entourage -un entourage par ailleurs infiltré depuis plusieurs années par la police et le FBI- qui craignent que Malcolm ne dévoile toute la supercherie, amenant ainsi les Black Muslims à quitter en masse les rangs de la Nation.
Le Black Shining Prince n’en dévoilera pourtant rien au public pendant plusieurs mois, même après son départ de la Nation of Islam le 8 mars 1964, par loyauté et respect envers Elijah Muhammad.
Aussi, Malcolm X se refuse dans un premier temps à dévoiler la réalité à la masse des Black Muslims, de peur qu’une grande majorité d’entre eux ne retourne à leur vie d’avant, synonyme très souvent de débauche et de misère.
Malcolm X se sait condamné
Dès le mois de janvier 1964, plusieurs projets d’assassinat sont fomentés par la Nation à l’égard de Malcolm X, dont un attentat à la voiture piégée en février 1964 qui n’aboutit finalement pas. Le 8 juin, la femme de Malcolm, Betty Shabazz, reçoit un appel menaçant lui indiquant que son mari « est aussi bon mort que vivant ».
Il n’est dès lors plus question pour Malcolm, récemment converti à l’Islam sunnite/orthodoxe et qui vient de revenir depuis peu de son pèlerinage à La Mecque, de garder le silence.
Le ‘Hajj’ Malik al Shabazz se décide à révéler à la fin du mois de juin 1964 la vraie raison de sa rupture avec les Black Muslims et leur meneur Elijah Muhammad.
Si les principaux cadres et lieutenants de la Nation of Islam cherchent depuis plusieurs mois à éliminer Malcolm X, ces révélations explosives ont l’effet d’une bombe au sein de la NOI : ce sont dorénavant tous les Black Muslims restés fidèles à Elijah Muhammad qui veulent le scalp de leur ancien frère et porte-parole phare, faisant monter la tension et la menace à leur paroxysme.
Il en faut toutefois plus pour impressionner Malcolm, qui possède un fusil -une carabine M1- et n’hésite pas à le faire savoir, lui qui a toujours prêché aux afro-américains le concept d’autodéfense, de même que l’exaltation fréquente de vertus telles que le courage, la dignité, le sens de l’honneur et le sens du sacrifice pour la liberté et la vérité.
Le Black Shining Prince est de cette poignée d’hommes fidèles à leurs principes, craignant davantage la couardise et la lâcheté que la mort, que Malcolm sait inéluctable.
Les nombreux voyages de Malcolm X cette année là rendent cependant la tâche difficile à la NOI. Pour la seule année 1964, Malcolm se rend en effet à La Mecque, mais également en Egypte, en Palestine, au Nigéria, au Ghana ou encore au Royaume-Uni. De plus, l’icône afro-américaine n’occupe que rarement sa maison et ses déplacements sont difficiles à prévoir pour les Black Muslims.
Malcolm X se rend également au Canada au début de l’année 1965 pour participer à l’émission Front Page Challenge sur la chaine canadienne CBC le 5 janvier 1965, traduite et publiée sur notre chaîne YouTube que vous pouvez retrouver ci-dessous.
Malcolm X est finalement de retour aux Etats-Unis quelques jours plus tard. Et les Black Muslims, qui comptent dans leurs rangs -jusque dans leur commandement- des agents sous couverture de la police et du FBI, l’attendent de pied ferme, plus que jamais déterminés à éliminer leur ancien frère.
Le 14 février 1965, une semaine avant le meurtre de Malcolm, l’icône de la cause noire est victime d’un attentat à la bombe, chez lui. Alors qu’il dort avec sa femme Betty et 3 de ses filles en bas-âge, des membres de la Nation of Islam s’approchent des fenêtres du domicile et y jettent des bombes incendiaires dans l’objectif assumé de supprimer toute la famille Shabazz. Fort heureusement, tous en sortent indemnes, l’attentat ne provoquant que dégâts matériels.
Une semaine plus tard, Malcolm X est assassiné en plein discours.
Martyre de Malcolm X
Harlem, New York, dimanche 21 février 1965. Malcolm X arrive sur l’estrade d’un Audubon Ballroom qui fait -comme à chacun de ses discours- salle comble.
Quelques secondes après la traditionnelle formule de salutation « As salam alaikom » à laquelle les auditeurs retournent le traditionnel « Wa alaikom salam », une dispute éclate dans les rangs du milieu entre deux individus venus assister au discours du plus ardent défenseur de la cause des Noirs aux Etats-Unis, l’un accusant l’autre d’avoir essayé de lui faire les poches. « Hold it hold it hold it » répète Malcolm aux deux hommes et à la foule, invitant chacun à garder son calme.
Il s’agit en réalité d’une mise en scène montée par 2 membres des Black Muslims visant à distraire et attirer vers eux les 2 gardes du corps accompagnant Malcolm ce jour-là. 3 autres membres de la Nation of Islam assis dans les premiers rangs profitent alors de la diversion, se lèvent et approchent du Black Shining Prince puis font feu, tirant plus de 21 balles dont 2 coups mortels de fusil à canon scié en pleine poitrine, suivis de plusieurs tirs de revolvers.
Le film Ali, sorti en 2001, revient sur ce tragique évènement ayant marqué l’Histoire à jamais.
Devant plus de 400 personnes, dont sa femme et ses filles présentes au premier rang pour l’occasion, Malcolm X rend son dernier souffle peu après, quittant ce monde à l’âge de 39 ans.
(Rajouter quelques mots brefs sur les assassins)
( & diapo de 4-5 photos, Malcolm transporté d’urgence, la scène de l’Audubon, Talmadge Hayer le jour J + plusieurs années plus tard, les 2 innocents)
No, I don't worry, I tell you, I'm a man who believes that I die 20 years ago, and I live like a man who is dead already. I have no fear of whatsoever, of anybody or anything.
Non, je ne m'inquiète pas, je vais vous dire : je suis un homme qui croit être décédé il y a 20 ans de cela, et je vis comme un homme qui est déjà mort. Je n'ai peur de rien, ni de personne.Malcolm X, Juin 1964
(Finir sur liens articles Funérailles & Hommage OD)