Le 27 février 1965, Malcolm X était inhumé au Ferncliff Cemetery, à New York, 6 jours après son tragique assassinat.
Au cours des funérailles de l’icône de la cause afro-américaine, l’acteur Ossie Davis délivra un poignant hommage au ‘Black Shining Prince’, surnom qu’il donna à cette occasion à Malcolm X.
Nous avons l’immense plaisir de vous en proposer la traduction intégrale.
Hommage au Black Shining Prince
Ici, en cette dernière heure, dans ce lieu tranquille, Harlem est venu faire ses adieux à l’un de ses espoirs les plus brillants, maintenant éteint et nous ayant quittés pour toujours. Car Harlem est l’endroit où il a travaillé et où il a lutté et s’est battu – la maison de ses maisons, où était son cœur et où se trouve son peuple – et il est donc tout à fait approprié que nous nous rencontrions à nouveau à Harlem pour partager ces derniers instants avec lui.
Car Harlem a toujours été gracieuse envers ceux qui l’ont aimée, se sont battus pour elle et ont défendu son honneur jusqu’à la mort. Personne ne se souvient de la dernière fois que cette communauté -assiégée, malheureuse, mais néanmoins fière- a trouvé un jeune champion plus courageux, plus vaillant que cet Afro-Américain qui se dresse devant nous, toujours invaincu.
Je répète le mot, comme il aurait voulu que je le fasse : Afro-Américain… L’afro-américain Malcolm, qui était un perfectionniste, était le plus méticuleux dans son utilisation des mots. Personne ne savait mieux que lui le pouvoir des mots sur l’esprit des hommes.
Malcolm avait cessé d’être un nègre il y a des années déjà. C’était devenu un mot trop petit, trop chétif, trop faible pour lui. Malcolm était plus grand que ça. Malcolm était devenu un Afro-Américain, et il voulait – si désespérément – que nous, que tout son peuple, devenions aussi des Afro-Américains.
Il y a ceux qui considéreront qu’il est de leur devoir, en tant qu’amis du peuple noir, de nous dire de l’insulter, de fuir la présence même de sa mémoire, de nous sauver en l’effaçant de l’histoire de notre époque turbulente.
Beaucoup se demanderont ce que Harlem trouve à honorer dans ce jeune capitaine tempétueux, controversé et audacieux – et nous sourirons. Beaucoup diront : « détourne-toi de cet homme, car ce n’est pas un homme mais un démon, un monstre, un perturbateur et un ennemi de l’homme noir » et nous sourirons. Ils diront qu’il est animé par la haine – un fanatique, un raciste – qui ne peut que causer du tort à la cause pour laquelle vous luttez ! Et nous leur répondrons et leur dirons :
Avez-vous déjà parlé au frère Malcolm ? L’avez-vous déjà touché ou l’avez-vous vu vous faire un sourire ? L’avez-vous jamais vraiment écouté ? A-t-il déjà fait quelque chose de méchant ? A-t-il jamais été lui-même associé à la violence ou à des troubles publics ? Car si vous l’aviez fait, vous l’auriez connu. Et si vous le connaissiez, vous sauriez pourquoi nous devons l’honorer : Malcolm était notre virilité, notre virilité noire vivante !
C’était son objectif pour son peuple. Et, en l’honorant, nous honorons le meilleur en nous-mêmes. L’année dernière, d’Afrique, il écrivit ces mots à un ami : « Mon voyage est presque terminé, et j’ai une portée beaucoup plus large que lorsque j’ai commencé, ce qui, je crois, ajoutera une nouvelle vie et dimension à notre lutte pour la liberté, l’honneur et la dignité aux États-Unis.
J’écris ces choses pour que vous sachiez avec certitude l’énorme sympathie et le soutien que nous avons parmi les États africains pour notre lutte pour les droits de l’homme. L’essentiel est que nous gardions un front uni dans lequel notre temps et notre énergie les plus précieux ne seront pas gaspillés à nous battre les uns les autres. »
Quoique nous ayons pu être en désaccord avec lui – ou entre nous à propos de lui et de sa valeur en tant qu’homme – faisons en sorte que son départ ne nous serve plus qu’à nous rapprocher, maintenant.
Consignant ces restes mortels à la terre, la mère commune de tous, soyons assurés que ce que nous plaçons dans le sol n’est maintenant plus un homme – mais une graine – qui, après l’hiver de notre chagrin, reviendra de plus belle à notre rencontre.
Et nous le connaîtrons alors pour ce qu’il était et est – un Prince – notre propre Resplendissant Prince Noir ! – qui n’a pas hésité à mourir, parce qu’il nous aimait tant.